Issue |
Matériaux & Techniques
Volume 106, Number 2, 2018
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Article Number | 204 | |
Number of page(s) | 3 | |
Section | Métaux et alliages / Metals and alloys | |
DOI | https://doi.org/10.1051/mattech/2017041 | |
Published online | 31 August 2018 |
Short Communication
Mesurer les capacités de production dans la sidérurgie européenne : un enjeu pour l’emploi en Europe
SYNDEX,
Paris, France
* e-mail: p.morvannou@syndex.fr
Reçu :
10
Avril
2017
Accepté :
14
Décembre
2017
Mesurer les surcapacités de production dans l’industrie sidérurgique mondiale représente un enjeu majeur pour la distribution des valeurs ajoutées et de l’emploi. L’Union européenne doit, pour défendre ses industries, imposer une rigueur indiscutable dans la localisation géographique des surcapacités et réaffirmer ainsi sa dimension industrielle à l’échelle mondiale.
Mots clés : capacité / emploi / investissement
© EDP Sciences, 2018
1 Les surcapacités de production : un enjeu international en 2017
La question des capacités de production a toujours revêtu un caractère stratégique dans la sidérurgie européenne et mondiale.
Les capacités de production sont un condensé industriel dont les enjeux sont d’ordre politique, socio-économique et financier.
En ce début d’année 2017, l’essentiel des surcapacités mondiales d’aciers est installé en Chine.
L’Europe, après une forte réduction de ses productions et la fermeture de plus de 40 MT de capacités de production entre 2008 et 2014, connaît une nouvelle vague de fermetures d’installations fin 2015 début 2016 dues à l’invasion des surcapacités chinoises d’acier qui se manifestait par un effondrement des prix de ventes à l’importation.
Il aura fallu l’intervention des syndicats patronaux et de travailleurs au début de l’année 2016 pour que l’Union européenne applique réellement les défenses commerciales à sa disposition (antidumping) pour que les prix se redressent et permettent aux installations survivantes de retrouver une viabilité économique, sociale et financière à partir du printemps 2016. Ainsi, l’ensemble des groupes sidérurgistes européens retrouve les bénéfices en 2016.
Mais l’histoire n’est pas finie.
Devant l’ampleur de la tâche à accomplir, un groupe de haut niveau a été créé au sein de l’OCDE au printemps 2016 afin de trouver une voie négociée avec les autorités chinoises pour réduire les capacités de production sur le marché mondial.
Les problématiques sur les surcapacités en Chine
Il y a une mesure des surcapacités à un instant T et la dynamique économique à prendre en compte qui s’inscrit dans une histoire, une trajectoire, des raisons qui expliquent la difficulté pour les Chinois de ralentir voir de stopper la progression de leurs productions d’aciers.
Le contexte chinois est marqué par un ralentissement économique notamment sensible dans le secteur de la construction, qui consomme plus de 50 % des aciers produits dans le pays.
Ces surcapacités sont issues de la phase de développement industriel précédente tirée par l’investissement ; le taux d’investissement de la Chine est depuis le début du siècle supérieur à 30 % soit plus du double des pays développés.
La suppression des surcapacités prendra des années, le gouvernement chinois estimant le temps nécessaire entre 5 et 10 ans
2 Les fusions concentrations, principale modalité de réduction des capacités
Si les suppressions de capacités de production excédentaires se matérialisent toujours in fine par la fermeture d’unités de production et la suppression des emplois, la principale modalité qui permet d’organiser le repli réside dans les fusions entre entreprises industrielles qui opèrent une concentration du secteur qui ont pour caractéristiques :
-
de constituer des groupes industriels puissants bénéficiant d’une taille qui permet d’amortir les frais fixes importants sur un volume de production suffisant ;
-
de rationaliser les outils et les productions dans le cadre d’une stratégie industrielle concurrentielle ;
-
de dégager les moyens de financement pour la restructuration, fermetures et suppressions d’emplois et reconversions des hommes et des territoires.
Les fusions concentrations ont constitué la modalité de réduction des surcapacités de production dans les sidérurgies européennes comme états-uniennes au cours des dernières décennies.
La Chine s’oriente officiellement dans cette voie. Ainsi Baosteel a lancé le processus d’acquisition de Wuhan Iron & Steel Group, pour constituer Baowu Steel Group, qui serait d’une taille mondiale en seconde position après ArcelorMittal.
3 Les risques encourus par la sidérurgie européenne
L’Europe sidérurgique se retrouve ainsi début 2017 dans une situation où :
-
la menace des surcapacités chinoises est toujours présente et ce pour une période qui ne sera pas inférieure à 10 ans ;
-
une défense commerciale qui a fait ses preuves mais qui est aussi contestée devant l’OMC par la Chine dans ses modalités de calcul de droits antidumping au travers de la revendication chinoise d’être reconnue comme économie de marché ;
-
la possibilité pour l’Europe, dans un contexte diplomatique de négociation internationale, d’être accusée de maintenir des surcapacités de production d’aciers.
Les déclarations du G7 comme les communications du comité acier de l’OCDE vont dans ce sens de reconnaître également une part des surcapacités mondiales en Europe !
Et ce malgré un déficit commercial croissant dans les aciers plats au carbone qui ne pourra être comblé rapidement.
Il est vrai toutefois que la question des capacités et donc d’éventuelles surcapacités est un sujet qu’il convient d’approfondir sur le plan industriel afin de disposer d’une base solide de discussion1.
C’est la condition pour pouvoir contester une approche diplomatique qui conclurait inévitablement au partage des efforts alors que l’Europe a déjà réalisé et au-delà les ajustements de ses productions d’aciers.
4 Mesurer les capacités de production réelles des usines sidérurgiques
Pour obtenir les capacités de production d’une unité de production, plusieurs options sont possibles :
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les capacités théoriques ou nominales des machines sidérurgiques installées dont le chiffrage est donné par le fabriquant pour une production à feu continu ;
-
les capacités ouvertes, qui prennent en compte l’activité des outils maintenus en fonctionnement. Leur montant est obtenu en soustrayant du total théorique les capacités des unités sous cocon ou arrêtées plusieurs mois pour cause économique ;
-
les capacités réelles, qui recensent les capacités ouvertes pondérées par les équipes réellement au travail et qui intègrent les arrêts temporaires pour réfection ;
-
les capacités potentielles, qui correspondent aux tonnages déjà produits à feux continus quand les outils sont à saturation pour répondre à une demande maximum2.
Les mesures effectuées par l’OCDE correspondent au parc de machines installées et ne tiennent pas compte des arrêts temporaires pour raisonner sur les capacités ouvertes mais qui ne sont pas réelles car les usines sous cocon3 n’emploient plus aucun salarié et par conséquent ne pourraient redémarrer rapidement.
Ce sont donc les capacités réelles qu’il convient de prendre en compte car elles correspondent à la possibilité de production des unités ouvertes compte tenu de la réalité des productions mesurées par le nombre d’équipes de travailleurs qui réalisent les productions.
L’exemple de l’usine S
Capacités de production installées : 1,6 MT avec deux fours et deux lignes de production.
Capacités ouvertes : 0,8 MT avec un four et une ligne de production.
Capacités réelles : 0,25 MT avec un fonctionnement limité durant la nuit et les fins de semaine.
Capacités potentielles : 1,4 MT, le maximum produit par l’unité.
5 Conclusions
Si nous ne voulons pas que d’autres usines sidérurgiques européennes ferment partiellement4 ou totalement, il est indispensable de disposer d’une mesure des capacités de production qui soient proche de la réalité et non pas fondée sur des données théoriques qui s’avèrent erronées et surtout supérieures à la réalité.
Les usines sont constituées de machines et de travailleurs et la seule mesure des capacités installées des machines ne permet pas de rendre compte de la réalité des capacités de production en Europe.
La défense de l’emploi dans la sidérurgie demande que les capacités de production soient effectivement mesurées afin de corriger les chiffrages erronés.
La réduction des capacités de production n’étant plus à l’ordre du jour, le principal intérêt des fusions concentrations en Europe disparaît de lui-même et permet d’envisager plutôt la défense des capacités installées face au reste du monde.
Ainsi, pour la première fois dans l’histoire récente de la sidérurgie européenne, la fermeture d’une usine ne profite plus à l’usine voisine qui dans le passé voyait sa viabilité renforcée.
Au contraire, la fermeture d’une usine européenne renforce aujourd’hui les importations qui menacent le reste des usines survivantes.
C’est le rôle des organisations syndicales européennes de mener à bien ce projet avec le soutien de leurs experts afin de pouvoir battre en brèche les soi-disant « surcapacités de production d’aciers en Europe ».
Écarter cette menace permettra de centrer toute l’attention des acteurs sur les vrais défis de la sidérurgie européenne qui sont la durabilité de ses emplois et de ses installations afin de réconcilier l’industrie des métaux de base avec l’avenir du continent.
Pour en savoir plus
Metal Bulletin
OCDE : Comité acier
Organisations syndicales européennes et américaines
P. Morvannou : « La croissance de la demande en aciers plats est satisfaite par les importations en 2016 : Une relance des investissements dans des capacités de production en sommeil est nécessaire en Europe » Paris février 2017
USW: Chinese steel overcapacity: “A Legacy of Broken Promises”, April 2017
World steel
Les différences entre les capacités potentielles et réelles sont principalement dues, outre les réfections, aux ratios de fonctionnement des outils en raison : du vieillissement des machines comme de leur renouvellement modernisation ; d’un déficit de savoir-faire dû au départ des salariés les plus expérimentés ; du savoir-faire du personnel temporaire ; de la qualité des matières premières ; des gains de productivité.
Citation de l’article : Philippe Morvannou, Mesurer les capacités de production dans la sidérurgie européenne : un enjeu pour l’emploi en Europe, Matériaux & Techniques 106, 204 (2018)
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